« Toi, mon amour, mon ami »
Article, supplément Famille Chrétienne | 23/07/2014 | Numéro 1904 | Par Ombeline Sapin
« Depuis cette épreuve, c’est une évidence. Timothée et moi sommes amis. Devant notre désir d’enfant qui n’aboutit pas, l’amour, le sexe, la passion permettent d’adoucir la souffrance, mais pas de trouver des solutions. C’est notre amitié qui nous sort la tête de l’eau. Son humour, mon imagination. Il prend du recul, me chambre, me fait rire et j’arrête de pleurer. J’essaie de le regarder objectivement en me détachant du lien affectif que j’ai pour lui, et me rappelle qu’il a bien d’autres visages que celui de notre « épine ». Qu’en plus d’être beau et drôle, il est intelligent, a sa propre pensée, ses idées dont j’ai alors bien envie de débattre. Cette hauteur m’inspire pour le surprendre dans son quotidien.
Après ma deuxième fausse couche, pour se rattraper au vol, on s’est acheté des petits fours et du champagne qu’on a descendu à deux en causant et délirant comme les vieux copains qu’on était. Ça nous a fait un bien fou. J’ai remarqué qu’en prenant cette distance affective, on se laisse du champ libre pour développer ce qu’on a dans le ventre, nos créativités respectives. Et oui, en plus d’être sa femme, je suis d’autres choses moi aussi. Une romancière en herbe par exemple. L’amitié de Timothée m’est précieuse pour aller jusqu’au bout du bouquin que je travaille depuis sept ans. Là, ce n’est pas l’amant qui me critique, gentiment mais sûrement.
Cette complicité de nos deux libertés se développe beaucoup grâce aux autres. Je pense à nos amis qui, après la triste nouvelle, nous ont offert une journée de spa – un pur moment de détente à deux… cadeau de ceux-là même qui nous renvoient à la figure, par leurs différences, nos contradictions et nos forces !
C’est notre amitié qui nous sort la tête de l’eau.
Nous sommes les seuls chrétiens de notre groupe d’amis. Des extraterrestres. Personne n’est marié, mais ça les rassure de voir que Timothée se paye toujours autant ma tête, l’air de se dire qu’on peut continuer à être soi et à déconner « même mariés ! ». Ils ont toujours mille choses à vivre encore avant de se décider pour quelqu’un, leur fameux tour du monde à faire. Et curieusement, ils viennent nous voir quand ils ont besoin de confier leurs misères.
Dans ce genre de situations, au début de notre relation, je lâchais mon mari, si beau et bon parleur, ma « carte de presse », comme je disais souvent. Naturellement, ça ne pouvait pas durer ; je ne pouvais me reposer éternellement sur ses lauriers. Alors aujourd’hui, quand je pense pouvoir apporter ma petite pierre, je tords le cou à ma timidité, me mets à bafouiller – comme toujours – et Timothée se retient de voler à mon secours. L’amant en lui serre les dents dix minutes tandis que l’ami prend patience et prie pour que l’Esprit Saint m’inspire.
On a appris, pendant nos fiançailles, à avoir confiance en la vie intérieure personnelle de l’autre, précisément le jour où l’on nous a parlé de la continence, qu’on ne vivait pas du tout. Tous les deux en même temps, mais séparément, on avait soudain eu très envie du meilleur pour l’autre, de le laisser vraiment maître de son oui. Ou de son non.
Ça a été coton de mettre nos corps un peu en veilleuse, de contrôler les embrassades pour ne pas se tenter, de renouer avec nos capacités à mettre des limites pour se respecter au maximum. Et de trouver des parades pour compenser le manque d’intimité physique.
On a beaucoup parlé pendant cette période, débattu, été très vrais. Parfois même blessants car en fin de compte on se connaissait mal. Il a fallu de sacrées doses d’humour et de pardon pour digérer certaines couleuvres. Je crois que c’est vraiment à ce moment-là que s’est développée notre amitié ; on avait expérimenté nos vies intérieures, notre complicité intellectuelle, et nos ressorts vivifiants dans la relation à l’autre. »