FRANZ STOCK (1904-1948)

Prêtre allemand pendant la guerre : une flamme au milieu de l’enfer

(article de Christophe Albert, maVocation.org)

Procès en Béatification ouvert en 2009

Franz_Stock_portrait

« Franz Stock, ce n’est pas un nom, c’est un programme », dira Mgr Roncalli, le futur Jean XXIII. Toute la vie de Franz Stock, prêtre allemand, ami de la France, en effet est un véritable « programme d’espérance » : elle annonce l’Europe fondée sur la paix et la réconciliation, elle annonce l’Église de Vatican II, elle parle enfin à tous les hommes qui espèrent contre toute espérance.

Présence, bonté, lumière, paix, humilité, disponibilité : ces mots reviennent constamment dans les témoignages de ceux qui l’ont connu. Tous évoquent avec reconnaissance et admiration la figure de ce prêtre allemand, aumônier dans les prisons de Paris entre 1940 et 1944, avant de devenir supérieur de l’incroyable « séminaire des barbelés » à Chartres, de 1945 à 1947. Partout il n’aura qu’une vocation : l’amour de ses frères

Le temps des ténèbres

L'Abbé Franz Stock et Mgr Roncalli (Bx Jean XXIII)

Aujourd’hui, Franz Stock apparaît non seulement comme le témoin de la paix et de la charité dans les circonstances les plus tragiques, mais aussi, mystérieusement, comme un précurseur des temps modernes.

Franz Stock a connu les deux guerres mondiales, la barbarie et l’horreur de ce « siècle de fer », de ce « temps de ténèbres », comme il le dira lui-même. Et dans ces temps de haine, il a toujours œuvré pour la paix. Son désir le plus cher a été de réconcilier son pays natal, l’Allemagne, avec celui vers lequel il se sent irrésistiblement attiré, la France. En 1926, après son entrée au séminaire de Paderborn (Westphalie), il effectue son premier séjour en France et se rend notamment à un congrès international pour la paix organisé par Marc Sangnier. Autre fait marquant : en1928, il choisit de s’inscrire à l’Institut catholique de Paris pour y continuer ses études jusqu’à la fin de l’année 1929. Il est le premier étudiant allemand au séminaire des Carmes depuis la guerre. La vie de Franz Stock est désormais indissolublement liée à son pays d’adoption. Ordonné prêtre en 1932, dans la région de Dortmund, il est nommé deux ans plus tard recteur de la paroisse allemande de Paris. Franz Stock est l’homme des situations charnières. De tempérament discret, il frappe surtout par l’humanité de sa foi et par sa capacité d’adaptation à tous les milieux. A la paroisse allemande, il est amené à rencontrer les personnes les plus variées : des jeunes filles au pair, des Allemands de toutes opinions, des Juifs fuyant le régime nazi (Hitler est au pouvoir depuis le 30 janvier 1933), des opposants politiques, mais aussi des personnalités officielles de l’ambassade. Franz Stock est déjà l’homme de la rencontre, il se laisse lui-même forger dans la rencontre. Tout entier voué à sa mission de servir l’homme, tous les hommes, il est porteur du Christ parce que le Christ vit en lui. Sa discrétion, son humilité, son courage aussi ne font que refléter cette présence qui laissera une forte impression sur tous ceux qui l’ont rencontré.

Aumônier des prisons

Franz Stock avec un prisonnier

En 1940, sa vie bascule. Il est nommé aumônier des prisons du Cherche-Midi et de Fresnes à Paris, en charge des prisonniers français, pour la plupart des otages et des résistants. Spirituellement, humainement surtout, il assiste environ plus d’un millier de condamnés à mort, en surmontant leur défiance légitime, en multipliant les petits services. Non seulement il obtient la confiance des détenusqu’il visite, qu’ils soient catholiques, juifs, communistes ou incroyants, mais il représente bientôt pour eux le dernier visage d’humanité qu’ils auront vu avant de mourir. Au milieu de l’enfer des tortures, des exécutions, du désespoir, Stock incarne l’espérance ultime, la possibilité de croire à la grandeur de l’homme et à la puissance de Dieu, en un temps où Dieu semblait absent. Stock souffre des souffrances de ceux qu’il accompagne mais, jusqu’à l’épuisement, il apporte un soutien et un réconfort, en respectant chacune des consciences qui se confient à lui. Il estbouleversé par la noblesse d’âme et le courage de certains condamnés à mort en qui, manifestement, la grâce opérait, comme ce fut le cas pour Honoré d’Estienne d’Orves, exécuté le 29 août 1941. L’exemple de l’officier français soutiendra son apostolat durant toute la guerre. «  »Je reste fidèle », écrit-il dans une lettre du 9 octobre 1945, « à ceux dont j’étais pendant quatre ans l’aumônier ; je leur avais promis de prier pour eux et ils sont toujours près de moi de grands saints et martyrs de notre civilisation désaxée. Et si je veux une grâce spéciale, un éclaircissement spirituel ou une grâce efficace, je m’adresse à ceux qui savaient mourir, qui sont allés directement à Dieu, après tant de souffrances et une belle préparation intérieure, et que j’ai pu accompagner sur leur dernier chemin ; je m’adresse à eux et je suis convaincu que leur prière sera exaucée ». »

Le séminaire des barbelés

Eucharistie

A la libération de Paris, enaoût 1944, Franz Stock est arrêté et envoyé dans un camp à Cherbourg. La France décide alors de regrouper tous lesséminaristes allemands prisonniers dans un même lieu pour fonder un « séminaire des barbelés ». L’objectif est de travailler à la dénazification de l’Allemagne. Franz Stock semble l’homme providentiel pour en devenir le supérieur : c’est à la fois un ami de la France et un patriote allemand sans être suspect d’aucune complaisance passée avec l’idéologie nazie. Après bien des hésitations, Stock accepte et s’adapte de nouveau à une mission pour laquelle il ne se sent pas préparé. D’août 1945 jusqu’à la Pentecôte 1947, mille jeunes environ passeront par le « séminaire des barbelés » de Chartres. Les deux-tiers deviendront prêtres. L’expérience bénéficie d’un exceptionnel concours de volontés : l’enseignement est assuré par des prêtres prisonniers, mais aussi par des universitaires qui acceptent de quitter leur chaire en Allemagne pour se constituer prisonniers ; elle reçoit le soutien du clergé français ainsi que du nonce apostolique, Mgr Roncalli, qui ne cache pas son admiration pour Stock. Celui-ci remplit sa mission dans des conditions d’autant plus difficiles qu’il est de plus en plus marqué par la fatigue.

Les derniers mois de sa vie sont tristes et solitaires. Jacques Perrier, son biographe, compare cette fin de vie à celle du Christ : le serviteur souffrant est seul et abandonné, il meurt en apparence dans l’échec, mais sa mort porte en vérité beaucoup de fruit. Resté en France, il meurt le 24 février 1948 à l’hôpital Cochin, dans l’abandon et l’oubli apparents de tous. Son corps repose aujourd’hui dans l’église Saint-Jean-Baptiste de Rechèvres, à Chartres. Le 3 juillet 1949, le P. Jean Pihan rendait ainsi hommage à Franz Stock, au cours d’une messe célébrée en l’église Saint-Louis des Invalides : « Mes camarades, mes frères, quelle leçon tirerons-nous de la vie trop courte et du sacrifice de notre frère Franz Stock ? Une seule, me semble-t-il, une seule qui résume tout : comme nous pouvons nous sentir fiers d’être chrétiens ! Nous pouvons être fiers à la pensée qu’au milieu des atrocités de cette guerre, le christianisme a permis ce miracle permanent qu’était la présence bienfaisante d’un abbé Stock ».